Cette fiche aborde la rentabilité de l’exploitation professionnelle spécialisée en bovins laitiers, en Wallonie, en détaillant la structure des produits et des charges, sur base des données provenant du réseau comptable de la Direction de l’analyse économique agricole [DAEA]. Cette analyse présente d’une part les résultats globaux et, d’autre part, se focalise sur certaines exploitations à mode de production conventionnel en comparant les résultats par groupe de performance.
En 2023, les produits par 100 l de lait produit baissent alors que les charges augmentent. De ce fait, le ratio entre les produits et les charges évolue défavorablement et devient inférieur à 1, ce qui signifie que l’exploitation spécialisée en bovins laitiers n’a pas, en moyenne pour l’année 2023, les produits en suffisance pour couvrir l’ensemble des charges réelles et calculées.
Plus de 70 % des produits de l’exploitation spécialisée en bovins laitiers proviennent du lait
Les produits d’une exploitation contiennent la valorisation des productions et des services agricoles, les recettes des autres activités lucratives, les régularisations et également les aides. La valorisation des productions englobe les ventes mais également la valorisation des stocks (cultures ou animaux) et de l’intra-consommation.
Pour l’année 2023, la somme des produits, aides comprises, de l’exploitation spécialisée en bovins laitiers atteint une valeur de 65,6 €/100 l de lait. 52,3 € proviennent des herbivores et des cultures fourragères (80 % de l’ensemble des produits) dont 46,4 € spécifiquement de la valorisation du lait (71 % de l’ensemble des produits). Le solde provient essentiellement des aides et des quelques rares cultures commerçables présentes dans ces exploitations.
Durant la dernière décennie, après la crise laitière de 2009, l’ensemble des produits a enregistré une hausse pour dépasser 55 €/100 l de lait en 2013 avant de s’effondrer en 2015 et 2016. La situation se redresse ensuite progressivement pour passer par un pic en 2022 avant d’arriver à la valeur actuelle. L’évolution des produits est naturellement corrélée à celle du prix du lait qui en est la composante principale. En 2022, les inquiétudes avec le conflit en Ukraine et la légère baisse de production européenne se sont traduites par une explosion du prix.
Parmi ces produits, les aides pour les exploitations spécialisées en bovins laitiers du réseau comptable de la DAEA sont relativement stables et évoluent autour de 6,0 €/100 l de lait. En 2023, le montant total des primes du premier et du deuxième pilier est de 6,1 €/100 l de lait.
Impact des Eco-Régimes sur les aides
L'augmentation des aides totales est en grande partie due au remplacement du paiement vert par les Eco-Régimes dans le cadre de la réforme de la PAC 2023-2027. Tandis que le paiement vert représentait en moyenne 7 600 € par exploitation spécialisée en bovins laitiers, les Eco-Régimes atteignent désormais près de 9 500 € par exploitation, marquant ainsi une progression significative. En effet, l’Eco-régime prairies permanentes conditionnée à la charge en bétail est facilement accessible aux éleveurs et offre un complément financier au soutien couplé ainsi que l’Eco-Régime Couverture longue du sol qui permet de valoriser les prairies et les couverts hivernaux.
Eco-Régime de l'exploitation spécialisée en bovins laitiers en production biologique par exploitation
Couverture longue du sol | Cultures favorables à l'environnement | Prairies permanentes conditionnée à la charge en bétail | Mailage | Réduction d'intrants | TOTAL | |
Exploitations wallonnes professionnelles* | 2 579 € | 470 € | 2 598 € | 628 € | 87 € | 6 361 € |
Exploitations spécialisées en bovins laitiers | 3 018 € | 421 € | 5 035 € | 958 € | 43 € | 9 474 € |
Attention : cet encart concerne l’ensemble des exploitations wallonnes et pas seulement les exploitations du réseau comptable de la Direction de l’analyse économique agricole.
Les « autres produits » provenant, par exemple, des autres activités lucratives telles que la prestation de service pour tiers et l’agritourisme se situent à un niveau de 2,7 €/100 l de lait. Dans cette catégorie de produits, sont comprises également, en tant que régularisation des exercices précédents, les indemnités « calamités agricoles », pour les sècheresses 2018 et 2020, et perçues en 2020 et 2021, ce qui explique le rebond de ces deux années. En 2023, une partie de l’indemnité pour la sécheresse de 2022 a été payée.
Exprimé par vache laitière, le total des produits de cette exploitation-type atteint une valeur de 4 484 €/vache laitière dont 3 171 € de produit du lait. Ramené par ha de SAU, ce total de produit atteint 4 586 € dont 3 662 € provenant des herbivores et cultures fourragères et 426 €/ha des aides.
Le niveau de production de ces exploitations spécialisées en bovins laitiers est de 6 839 l/vache laitière ou de 6 995 l/ha de SAU.
- Au sein des exploitations conventionnelles spécialisées en bovins laitiers, l’écart de produits des bovins et cultures fourragères entre les groupes de performances atteint presque 1 200 €/vache
Les exploitations conventionnelles spécialisées en bovins laitiers sont classées dans des groupes en fonction de leur performance (faible, moyenne ou élevée) exprimée par le revenu du travail par unité de travail. Outre leur spécialisation en production laitière et leur mode de production conventionnel, les autres critères de sélection des exploitations sont d'avoir au 4 000 l/vache, une présence de minimum 20 vaches laitières et de maximum 5 vaches viandeuses. Les produits des bovins et des cultures fourragère doit couvrir au moins 65 % de la SAU. Enfin, la part du volume de lait vendu directement à la ferme ne peut excéder 25 % et celle consommée sur la ferme ne peut dépasser 10 %. Cet échantillon d'analyse de groupes de performance diffère de l'exploitation type-spécialisée en bovins laitiers par son mode de production et les seuils de sélection mais aussi par le fait qu'une simple moyenne arithmétique des valeurs individuelles est réalisée sans pondérer en fonction de leur représentativité. Les exploitations ainsi sélectionnées ont une superficie moyenne de 80,6 ha pour 100 vaches laitières avec un rendement laitier de 7 2401 l/vache. Elles sont donc en moyenne un peu plus grande que l'exploitation-type spécialisée en bovins laitiers et avec une production par vache un peu supérieure.
Les produits totaux par 100 litres de lait sont très similaires entre les divers groupes de performances et compris entre 55,4 et 58,6 €/100 l de lait. Si l’on se focalise uniquement sur les produits des bovins et des cultures fourragères ou uniquement sur les produits laitiers, les écarts entre groupes sont un peu plus marqués et atteignent presque 5 €/100 l de lait.
Si on analyse les produits par vache, le groupe le plus performant se distingue par une production et un total des produits de l’exploitation par vache laitière de respectivement 8 063 litres et 4 625 €. A l’opposé, le rendement laitier au sein du groupe le moins performant atteint 6 426 l/vache avec un produit de seulement 3 560 €/vache.
Les exploitations du groupe le plus performants ont une superficie totale supérieure à celle des autres groupes et, de plus, présentent une charge en bovins par unité de surface fourragère plus importante avec 1,3 vaches alors qu’elle est de 1,2 pour le groupe le moins performant. Si on prend en considération les besoins alimentaires plus élevés des vaches du groupe le plus performant vu leur niveau de production plus élevé, en exprimant la charge en UGB ‘alimentaires’ par ha de superficie fourragère, cet écart s’accentue et on calcule ainsi une charge de 2,9 UGB pour le groupe le plus performant alors qu’elle est de l’ordre de 2,5 UGB pour le groupe le moins performant.
Concernant les caractéristiques liées à la gestion du troupeau de bovins, on observe que l’âge au premier vêlage des primipares chez les plus performants est de 29 mois, soit environ 4 à 5 mois plus tôt que les moins performants chez qui cet âge atteint 33 mois. Le groupe de tête réforme également ses vaches un peu plus vite, à l’âge de 6 ans alors que le groupe le moins performant garde en moyenne ses vaches jusqu’à 7 ans. En revanche, la différence dans les intervalles inter-vêlages reste limitée. Ces derniers sont proches de 425 jours depuis plus de 10 ans.
Les charges totales de l’exploitation spécialisée en bovins laitiers augmentent encore et dépassent les 71 €/100 l de lait
Au sein des charges d’une exploitation, on peut distinguer les charges opérationnelles affectées directement liées à une activité (aliments, frais de cheptel, semences, engrais, produits phytosanitaires, travaux par tiers) et les charges de structure intégrant les dépenses réelles (fermages, assurances, frais d’entretien, frais généraux, main-d’œuvre salariée, …) et calculées (amortissements comptables, intérêts sur l’actif). On distingue des deux précédentes la rémunération (calculée) de la main-d’œuvre non salariée (familiale).
En 2023, le total des charges de l’exploitation spécialisée en bovins laitiers s’élève à 71,1 €/100 l de lait. Les parts des charges opérationnelles affectées et de structure sont respectivement de 38 et 35 %. Le reste, soit 27 %, concerne la rémunération du travail familial (non salarié).
Le total de ces charges montre une évolution globale à la hausse jusqu’en 2013-2014 avant de présenter une légère tendance baissière, due essentiellement à une réduction des charges opérationnelles affectées. Depuis 2021, les charges augmentent et sont aujourd’hui nettement supérieures à la moyenne sur les dix années précédentes de 61,4 €/100 l de lait.
Les charges de structure et de main-d’œuvre familiale sont plus constantes que les charges opérationnelles affectées, même si on observe une hausse ces dernières années. Les charges de main-d’œuvre familiale oscillent entre 18 et 19,5 €/100 l de lait pour ces quelques dernières années, malgré la hausse du coût horaire de la main-d’œuvre. Cela traduit une augmentation de l’efficacité de la main-d’œuvre.
Exprimées par vache, les charges totales de l’exploitation spécialisée en bovins laitiers atteignent, en 2023, 4 860 €/vache. C’est 21 % en plus que la moyenne des dix années précédentes qui est de 4 015 €/vache. Par ha de SAU, le total des charges de l’exploitation spécialisée en bovins laitiers est de 4 971 €, soit environ 21 % en plus que la moyenne des dix années précédentes qui est de 4 111 €.
- Les charges opérationnelles affectées augmentent et dépassent les valeurs très élevées observées en 2022
En 2023, les charges opérationnelles affectées de l’exploitation spécialisée en bovins laitiers, s’élèvent à 26,7 €/100 l de lait dont 16,2 € pour l’alimentation du cheptel. Alors qu’entre 2015 et 2020, le niveau des charges opérationnelles affectées était en moyenne proche de 20 €/100 l de lait, on observe une hausse sensible depuis 2022, essentiellement liée à une augmentation des charges d’alimentation des bovins.
Pour les cultures, essentiellement fourragères et avec une proportion élevée de prairies, les charges opérationnelles affectées ne sont pas le poste le plus important et représentent 3,6 €/100 l de lait.
L’exploitation spécialisée en bovins laitiers fait régulièrement appel à des tiers pour les travaux agricoles et dépense 3,8 €/100 l de lait ou 263 €/ha de SAU en travaux par tiers affectés. Cela répond à un problème de rentabilité de certains matériels à l’échelle d’une exploitation mais également à un besoin de main-d’œuvre extérieure pour la réalisation de certains travaux. La hausse observée en 2023 s’explique sans doute par les conditions météorologiques favorables à la pousse de l’herbe et donc à une hausse des coupes ainsi qu’à des tarifs des entreprises agricoles plus élevés.
Les charges opérationnelles affectées par vache s'élèvent à 1 825 €. Parmi ces charges, les frais d’alimentation complémentaire du cheptel, c'est-à-dire les aliments ne provenant des cultures fourragères de l’exploitation, représentent la part principale avec 1 110 €/vache. Les frais de cheptel représentent 208 €/vache dont 97 €/vache spécifiquement pour les frais vétérinaires.
Les montants liés aux engrais minéraux, aux semences et aux produits de protection phytosanitaires sont respectivement de 148, de 62 et de 38 €/ha de SAU. Le coût des engrais a bien augmenté mais l’impact reste limité pour ces exploitations.
- Parmi les charges de structure, les charges de matériel dépassent les charges foncières depuis quelques années
Les charges de structure sont relativement stables, bien qu’elles aient augmenté depuis 2020, et atteignent 24,9 €/100 l en 2023. Parmi celles-ci, les charges de matériel représentent 11,1 €/100 l de lait, soit 45 % des charges de structure pour 2023. La hausse est bien présente car on était proche de 9 €/100 l de lait avant 2021. Avec 8,6 €/100 l de lait en 2023, les charges liées au foncier (amortissements, intérêts, entretien, location et assurances des biens fonciers) représentent 34 % des charges de structure de l’exploitation spécialisée en bovins laitiers. De 2010 à 2014, ces charges foncières étaient de l’ordre de 9 à 10 €/100 l de lait avant de redescendre au niveau actuel suite à l’arrêt des amortissements de quota laitiers. Les autres types de charges qui intègrent essentiellement les frais généraux, les énergies non affectées, les intérêts sur le capital circulant et les salariés, augmentent progressivement chaque année.
Les exploitants réalisent une part des travaux avec leur propre matériel et en confient une part à des tiers. Selon les choix de gestion de l’agriculteur et de disponibilité de la main-d’œuvre, cette répartition évolue. Les charges de matériel de l’exploitation doivent donc être mises en relation avec le recours à des tiers pour les travaux agricoles (affectés et non affectés) dont on observe une légère hausse. La somme de ces deux types de charges donne une valeur de 15,2 €/100 l de lait pour 2023, plus que les 12,1 €/100 l de lait de moyenne au cours des dix années précédentes. Les variations annuelles sont notamment liées à la fluctuation du prix de l’énergie qui impacte directement les dépenses en combustibles de l’exploitation, et influence les tarifs de leurs prestataires de service, notamment les entrepreneurs de travaux agricoles. En 2023, les conditions météorologiques ont favorisé la pousse de l’herbe et donc augmenté le nombre de coupes.
Exprimée par ha de SAU, le total des charges de mécanisation, comprenant les travaux par tiers, atteint 1 060 €. Pour le matériel de l’exploitation, la charge en carburant, après un minimum de 55 €/ha de SAU en 2020, a vu sa valeur doubler en 2022 et 2023.
- Les exploitations les plus performantes ont des charges par litre de lait produit nettement plus faibles que celles des moins performantes
Les exploitants du groupe le plus performant ont des charges totales, comprenant le travail familial, de 48,5 €/100 l de lait, alors que les moins performants enregistrent des charges totales de 74,9 €/100 l de lait.
Les charges opérationnelles affectées sont plus faibles d’environ 2,8 €/100 l de lait pour les exploitations les plus performantes, soit une différence assez faible et ils dépensent un peu moins pour les aliments complémentaires ainsi que pour les concentrés spécifiquement. La différence entre les groupes de performances se marque particulièrement pour les charges de structure non affectées et sur le travail familial.
Les charges non affectées, hors main d’œuvre familiale, sont de 34,4 €/100 l de lait pour les moins performants alors qu’elles ne sont que 20,1 €/100 l de lait pour les plus performants. En ce qui concerne la main-d’œuvre familiale, l’écart est aussi prononcé vu que les moins performants nécessitent 19,6 €/100 l de lait de charges de salaires calculées alors que les plus performants se contentent de 10,3 €/100 l de lait.
Les charges totales par vache sont plus faibles pour les exploitations les plus performantes qui se démarquent essentiellement par une plus grande efficacité de leur main-d’œuvre familiale dont le coût est de l’ordre de 400 €/vache inférieur à celui des exploitations les moins performantes. Si l’on ne prend pas en considération cette charge salariale, les dépenses par vache diffèrent de près de 500 € entre les groupes de performance extrêmes. Les exploitations les plus performantes dépensent environ 100 €/vache en plus en charges opérationnelles affectées et plus spécifiquement en aliments complémentaires par vache mais environ 600 €/vache en moins pour les charges non affectées hors main-d’œuvre familiale. Ceci grâce à une meilleure gestion aussi bien des charges foncières que de matériel.
En 2023, les produits de l’exploitation spécialisée en bovins laitiers ne suffisent pas pour rémunérer l’ensemble des facteurs de production
Pour comparer le total des produits et des charges de l’exploitation, on peut analyser la valeur des produits par 1 000 € de charges. Ces produits intègrent le solde TVA pour les exploitants qui ne sont pas dans le système TVA normal et les quelques rares produits hors solde. Si la valeur obtenue est inférieure à 1 000 €, cela signifie que les produits de l’exploitation sont insuffisants pour rémunérer l’ensemble des facteurs de production, y compris de la main-d’œuvre familiale et de l’ensemble du capital (en considérant un fermage sur la totalité de la SAU et un intérêt sur le capital).
En 2023, l’exploitation spécialisée en bovins laitiers a engrangé 912 € de produits pour 1 000 € de charges. En d’autres mots, l’exploitation spécialisée en bovins laitiers n’a pas, en moyenne, été en mesure de couvrir l’ensemble de ses charges réelles et calculées. C’est un peu mieux que la moyenne des dix années précédentes qui indique 873 € de produits par 1 000 € de charges. Si la situation s’était dégradée de 2014 à 2016, le ratio s’était amélioré jusqu’en 2021 avant d’arriver en 2022 avec un niveau de produits supérieur à celui des charges.